LA CENI EST-ELLE COMPETENTE POUR ANNULER LES ELECTIONS OU LES SUFFRAGES REALISES PAR UN CANDIDAT ?

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NSOLOTSHI MALANGU

Chef de Travaux et Jurisconsulte

nsolotshi@jurisconsultes-rdc.net

INTRODUCTION

Par son communiqué n°002 du 05 janvier 2024, la CENI annonce avoir sur pied des articles 29, 30 et 31 de la loi organique portant son organisation et fonction, pris la décision d’annuler les élections législatives nationales des circonscriptions de MASIMANIMBA dans la Province de Kwilu et de YAKOMA dans la Province du Nord Ubangi ainsi que la décision d’annulation les suffrages obtenus par certains candidats dans différentes circonscriptions de la République démocratique du Congo.

Ces décisions étant premières dans l’histoire électorale de la Rdc depuis 2006, elles suscitent particulièrement la question de savoir si la CENI a réellement la compétence d’annuler une élection qu’elle a organisée ou d’annuler les bulletins des votes comptés en faveur d’un candidat ?

Nous pensons en ce qu’en ce qui concerne le processus électoral, la CENI joue un rôle purement organisateur et que ses actes sont strictement soumis à la légalité ; elle ne saurait prendre aucune décision que la loi ne lui attribue pas expressément la compétence.

Dans une démarche essentiellement exégétique, cette réflexion démontre scientifiquement que la décision critiquée de la CENI est juridiquement illégale et infondée. Pour cela, nous analysons sans parti pris ni pris à parti, le rôle organisateur de la CENI dans le processus électoral, le régime juridique d’annulation de l’élection et du suffrage exprimé ainsi que les recours possibles contre cette décision de la CENI.

I.. ROLE ORGANISATEUR DE LA CENI POUR LE PROCESSUS ELECTORAL

L’article 211 de la constitution en vigueur en RDC dispose que « la Commission électorale nationale indépendante est chargée de l’organisation du processus électoral notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum. Elle assure la régularité du processus électoral et référendaire. Une loi organique fixe l’organisation et le fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante ».

Article 9 de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante telle que modifiée et complétée par la Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la Loi organique n° 21/012 du 03 juillet 2021 dispose que « la CENI a pour mission d’organiser, en toute indépendance, neutralité et impartialité des scrutins libres, démocratiques et transparents. A cet effet, elle exerce les attributions ci-après : 1. organiser et gérer les opérations pré-électorales, électorales et référendaires notamment l’identification et l’enrôlement des électeurs, l’établissement et la publication des listes électorales, le vote, le dépouillement, la centralisation et l’annonce des résultats provisoires ; 2. transmettre les résultats provisoires à la juridiction compétente pour proclamation des résultats définitifs ; …».

L’article 2 de la loi électorale telle que modifiée et complétée à ce jour renchérit que « la commission électorale nationale indépendante est chargée d’organisation du processus électoral, notamment l’enrôlement des électeurs, la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, du dépouillement et de la proclamation des résultats provisoires. Elle en assure la régularité ».

Il ressort de ces trois dispositions qu’en ce qui concerne le processus électoral, la CENI est chargée de la mission d’organisation des opérations électorales (enrôlement, vote, dépouillement, proclamation des résultats provisoire et transmission des résultats à la juridiction compétente).  Contrairement à l’Administration publique ordinaire, la CENI prend dans le processus électoral des décisions provisoires qui sont ensuite transmise au juge pour entérinement. Il en est ainsi de la décision de rejet d’une candidature – article 26 de la lo électorale ou de la décision de proclamation des résultats provisoires – 71 loi électorale. Ce rôle organisateur de la CENI est compatible avec la neutralité e la CENI vis-à-vis des acteurs politiques.

Ces rôles d’organisateur et de neutre que joue la CENI, justifient les régimes juridiques la loi a instauré pour nullité des suffrages et des élections.

II.. REGIMES DE NULLITE DES SUFFRAGES ET DES ELECTIONS EN RDC

De prime abord, il faut distinguer ces deux notions juridiques : annulation de l’élection (d’une circonscription) et annulation d’un suffrage ou bulletin (censé être attribué à un candidat).

En effet, les deux notions n’ont pas les mêmes régimes juridiques : elles n’ont pas les mêmes causes juridiques, n’impliquent pas les mêmes autorités et ne produisent pas les mêmes conséquences.

II.1. NULLITE DU SUFFRAGE EXPRIME OU DU BULLETIN DE VOTE

Dans un scrutin, le suffrage en tant que choix ou vote d’un électeur est contenu dans un bulletin de vote. En effet le législateur congolais organise expressément le régime de nullité des bulletins de vote dans les articles 63 et 64 de la loi électorale. Ces articles organisent le régime de nullité d’office de certains bulletins de vote et cette nullité doit être constatée et non décidée par l’autorité.

À ce sujet, l’article 64 de la loi électorale telle que modifiée et complétée à ce jour ; dispose que « sont déclarés nuls :  1. les bulletins non conformes au modèle prescrit ;   2. les bulletins non paraphés par le Président et le Secrétaire du bureau de vote ; 3. les bulletins portant des ratures ou des surcharges ; 4. les bulletins portant plus d’un choix ; 5. les bulletins portant des mentions non requises ; 6. les bulletins déchirés ; 7. les bulletins qui n’indiquent pas un choix clair. La nullité des bulletins de vote est constatée par l’apposition de la mention « NUL » suivie d’un numéro par référence aux causes de nullité énumérées à l’alinéa 1er du présent article ».

À la lecture de cet article, on peut se rendre que les bulletins de bourrage d’urne, les bulletins des bureaux dont les agents ont été corrompus ainsi que les bulletins de bureaux de vote qui ont été vandalisés, ne sont pas cités et ce avec raison car, dans pareille hypothèse aucun bulletin ne saurait être validé en faveur de qui que ce soit ; tous les résultats de votes devraient simplement être annulés. (On parlerait dans ce cas de nullité de l’élection et non du suffrage)

Il n’est pas non plus cité, les suffrages obtenus par les candidats qui ont perpétrés des irrégularités dans les rayons du centre de vote concerné, notamment par la corruption des électeurs, la campagne irrégulière, intimidations et violences contre les électeurs ou contre les membres des bureaux de vote etc. La raison est simple, dans pareil cas, on ne peut pas savoir avec précision quel bulletin a été rempli par l’électeur victime ou dans quelle proportion tel ou tel candidat a pu bénéficier de cette irrégularité ; c’est pourquoi, la loi préconise dans pareil cas l’annulation du scrutin pour le bureau visé par cette irrégularité.  (Il s’agit là de la nullité du scrutin et non du bulletin).

Il importe de faire voir que le législateur ne s’est pas préoccupés des suffrages des faux bureaux de vote (bureau fictif ou bureau pirate) parce que dans ce cas, la CENI ne prend pas en compte ces bulletins.

En plus, la lecture attentive de l’article 64 évoqué ci-haut révèle que la nullité de suffrage est constaté bulletin par bulletin ; elle ne porte pas sur les bulletins généralement quelconques d’un candidat.  C’est pourquoi, l’article 64 in fine prévoit que la mention « NUL » doit être apposé à l’endos du bulletin avec référence du motif de la nullité.  ON ne peut donc pas constater une nullité collective de tous les bulletins d’un candidat.

Au reste, l’article 63 de la loi électorale prévoit que la nullité du suffrage exprimé est constatée par les membres du BUREAU DE VOTE ET DE DEPOUILLEMENT (BVD). Cet article dispose expressément que « le Président du Bureau de dépouillement ouvre l’urne devant les membres du bureau en présence des témoins, des observateurs ainsi que des journalistes et des cinq électeurs désignés. Il prend chaque bulletin, le donne à un assesseur qui le lit à haute voix sous le regard des témoins et le classe selon les catégories suivantes : 1. bulletins valables ; 2. bulletins nuls ; … Il place ensuite dans des enveloppes distinctes, dûment identifiées, les bulletins attribués à chaque candidat indépendant, les bulletins attribués à une même liste des partis politiques ou regroupement politique, les bulletins nuls, ceux qui n’ont pas été utilisés et le relevé du dépouillement. Les enveloppes sont scellées en présence des témoins et des observateurs… »

Dans le même sens, l’article 79 de la décision de la CENI n°036 du 25 aout 2022 sur les mesures d’application de la loi électorale précise que le PV de dépouillement du Bureau de vote et de dépouillement, mentionne notamment le nombre des bulletins nuls et le nombre de bulletins blancs. Cet article prévoit que « le secrétaire du bureau de dépouillement établit le procès-verbal de dépouillement. Le procès-verbal de dépouillement mentionne notamment : – l’heure du début et de la fin du dépouillement, – le nombre de bulletin sortis de l’urne ; – le nombre de bulletins nuls ; – le nombre de bulletins nuls ; – le nombre de bulletin blancs ;  le nombre des suffrages valablement exprimés ; le suffrage obtenu par candidat ; – le observations, réclamations et contestations éventuelles des témoins présents et – les écarts constatés entre les bulletins sortis de l’urne et la fiche des résultats issus du dispositif électronique de vote ».

Il y a lieu d’insister sur le fait que les compétences publiques étant d’attribution et que le Bureau de vote et de dépouillement (BVD) étant une structure administrative spécifique de la CENI reconnue par la loi qui lui attribue cette compétence spécifique, la CENI NE PEUT CONSTATER LES BULLETINS NULS PAR UNE AUTRE STRUCTURE, SOIT-ELLE LA PLENIERE.

Et même s’il faut accepter que les structures nationales de la CENI (le Bureau ou la plénière) peut poser les actes attribués par la loi aux bureaux de vote et de dépouillement notamment la constatation de la nullité des suffrages, mais cela ne peut se faire que pour le motif légal et dans les formes que la loi a prescrites.  En décidant donc que les voix obtenues par X ou Y candidats sont tous annulés pour cause de fraude, de de vandalisme, de corruption, … la CENI a statué en violation de la loi susvisée.

Il est nécessaire de souligner cependant que dans le contentieux électoral tendant à obtenir la rectification des résultats, le juge électoral peut lorsqu’il estime nécessaire, ordonner le recomptage ou reconsidération des bulletins de vote ou apprécier l’interprétation que la CENI s’est faite du bulletin nul. Dans ce cas, le juge peut donner sa propre interprétation du bulletin nul ou bulletin valable et en tirer librement les conséquences juridiques – art 76bis de la loi électorale. Ainsi, le juge électoral compétent peut contredire la CENI et constater que les bulletins qu’elle a qualifié de nul ne l’est pas ou inversement, le bulletin qualifié de valable par la CENI est légalement nul.

La nullité d’un suffrage peut certes influer sur le résultat final de l’élection (parce que même une seule voix électorale peut faire la différence) mais elle n’écarte pas d’office le candidat concerné de la compétition ; celui-ci peut gagner l’élection avec les autres voix valables. De même la nullité d’un suffrage étant n’impacte les autres suffrages exprimés dans le même bureau de vote.

II.2. ANNULATION DE L’ELECTION D’UNE CIRCONSCRIPTION

Nous avons déjà à traiter suffisamment traiter cette question dans un article séparé (vous pouvez cliquer sur ce lien à https://jurisconsultes-rdc.net/contentieux-electoral-des-resultats-en-rdc-illegalite-de-la-pratique-dannulation-des-voix-et-remplacement-des-candidats-elus/  ).

L’annulation d’une élection signifie que tous les suffrages exprimés dans les bureaux de vote visés, sont anéantis et qu’’il y aura l’organisation d’un nouveau scrutin pour ces bureaux de vote.

On distingue ainsi l’annulation de vote d tous les bureaux de la circonscription (annulation totale d’un scrutin) et l’annulation du scrutin pour quelques bureaux d’une circonscription (annulation partielle). La différence est sur le fait que la nullité totale implique la réorganisation du scrutin dans tous les bureaux de vote de la circonscription alors que, en cas de nullité partielle, le nouveau scrutin n’est organisé que les bureaux dans quelques bureaux de vote nommément désignés.

Cependant, qu’il s’agisse de la nullité totale ou partielle du scrutin, la cause, l’autorité intervenante et les conséquences sont les mêmes (pas de proclamation des résultats).  

L’article 75 alinéa 2 de la loi électorale désigne le juge électoral comme la seule autorité compétente pour d’annuler en tout ou en partie une élection dans une circonscription électorale. Cet article dispose que « la juridiction (compétente pour connaitre du contentieux des résultats) peut annuler le vote en tout ou en partie lorsque les irrégularités retenues ont pu avoir une influence déterminante sur le résultat du scrutin. S’il n’y a pas appel, un nouveau scrutin est organisé dans les soixante jours de la notification».

Comme on le voit cet article 75 alinéa 2 de la loi électorale détermine le motif pour lequel une élection peut être annulée en tout ou partie dans une circonscription : il faut une irrégularité déterminante sur les résultats.

On entend par irrégularité déterminante sur les résultats, une irrégularité sans laquelle les candidats élus ne seraient pas les mêmes.  La loi laisse au juge le libre pouvoir d’apprécier le caractère déterminant de l’irrégularité évoqué. Par exemple, si dans une élection uninominale majoritaire simple comme celle du président de la République en RDC ; les candidats A, B et C ont obtenus respectivement 1.000voix, 200voix et 17.800voix et qu’il soit rapporté que le candidat C a bourré les urnes d’un bureau de vote qui a eu 100 votant au totale ; le juge électoral peut décider que quoiqu’établie, cette irrégularité (fraude par bourrage d’urne) n’est pas déterminante en ce sens que même sans les voix du bureau litigieux  ou en accordant toutes les  voix du bureaux litigieux au candidat A ou au candidat B, le candidat C resterait en tête pour élu. Pareille irrégularité n’a donc pas d’influence déterminante les résultats.

Donc, l’irrégularité n’est pas déterminante dans sa définition d’être une violation de la loi mais elle l’est par son impact sur les résultats actuels. Il existe en pratique plusieurs situations constituants des irrégularités notamment : 1. La propagande ou campagne après expiration de la période règlementaire ou le jour du vote ; 2. L’empêchement d’un candidat de faire sa propagande et de faire connaitre ses vues pendant la période de campagne électorale ou l’empêcher d’accéder aux médias ; 3. L’empêchement par violence ou ruse aux électeurs de voter ou de choisir librement leur candidat ; 4. La pression sur les électeurs de voter ou de choisir un candidat déterminé 5. L’absence des dispositifs matériels garantissant le vote, le secret ou la transparence (exemples : absence de machine à voter, de bulletins de vote, de listes électorales, d’isoloirs, d’urne transparent le jour du scrutin, …) ; 6. Le refus aux témoins politiques et/ou aux observateurs d’accéder aux bureaux de vote et de dépouillement ; 7. Le vote des personnes sans qualité d’électeurs ou les votes multiples des électeurs ; 8. Le bourrage des urnes en faveur d’un candidat afin d’influencer les résultats ; 9. La falsification des Fiches de résultats par majoration ou minoration des voix des candidats ; 10. L’organisation des bureaux de vote fictifs ou suppression injustifiée des bureaux de vote ; 11. La perturbation, suspension ou retardement injustifié du fonctionnement des bureaux de vote et violation de l’intégrité des bureaux de vote et de dépouillement 12. La corruption des membres et personnels de la CENI au profit d’un candidat 13) Les violations des étapes et formalités essentielles du déroulement des opérations de vote ou de dépouillement telles que prévues par la loi 14) Les discordances exagérées et inexpliquées entre le nombre des votants et les bulletins sortis de l’urne 15) La destruction, la violence et le pillage des bureaux de vote et/ou de dépouillement.[1]

Cependant, ces irrégularités n’entrainent pas automatiquement l’annulation de l’élection ; il faut en outre, qu’elles aient exercé une influence déterminante sur les résultats de vote.

On peut se poser la question sur ce que doit faire la CENI qui constate les irrégularités dans l’organisation d’un scrutin : doit-elle publier les résultats quoiqu’entachées d’irrégularité quitte aux candidats de saisir le juge électoral ? À notre avis la CENI ne peut pas publier provisoirement les résultats dont elle sait qu’ils sont entachés de graves irrégularités car ce serait les cautionnées ; et il suffit qu’il n’y ait pas de recours juridictionnels pour que ces résultats soient consacrés définitivement.

Par ailleurs, la CENI ne peut non plus annuler une élection pour cause des irrégularité faute de compétence. En effet, la CENI n’a reçu en matière des résultats de vote que la mission de proclamer les résultats provisoires et de transmettre ces résultats au juge électoral compétent pour proclamer les résultats définitifs.

L’article 71 de la loi électorale dispose que « la Commission électorale nationale indépendante reçoit les résultats consolidés de tous les centres de compilation par le Secrétariat exécutif provincial. Elle dresse un procès-verbal des résultats provisoires signé par tous les membres du bureau. Le Président de la Commission électorale nationale indépendante ou son remplaçant rend public les résultats provisoires du vote. Les résultats publiés sont affichés dans les locaux de la Commission électorale nationale indépendante ou consultés selon le cas sur Internet. Les procès-verbaux ainsi que les pièces jointes sont transmis à la Cour constitutionnelle, à la Cour Administrative d’appel, au Tribunal Administratif du ressort, selon le cas ».  

C’est une erreur de raisonnement de penser lorsque la loi parle des résultats que doit publier la CENI, il s’agit forcément de proclamer les candidats élus. Le « résultat » veut dire ce qui résulte ou s’ensuit d’une opération. Le constat que, à l’issu du scrutin il y a eu des graves irrégularités empêchant la CENI de connaitre les vrais obtenus par les candidats, constitue un résultat. C’est un peu la même chose avec les résultats d’une délibération faite par un jury d’une Université : le constat selon lequel l’étudiant X est ajourné faute de point dans tel ou tel autre cours, est un résultat. Ainsi, en cas d’irrégularité grave empêchant la CENI de connaitre les vrais résultats, ce constat vaut résultat. Ce résultat doit être proclamé par la CENI et transmis au juge électoral compétent pour qu’il annule l’élection en tout ou en partie selon les preuves produites par la CENI. De même, le candidat qui estimerait que la CENI a tort qu’il les résultats digne de foi peuvent saisir le juge électoral dans le délai légal pour obtenir la rectification des résultats et être proclamés élus.

En revanche, avec la décision d’annulation des résultats par la CENI, le juge électoral n’a plus de compétence : il ne peut pas publier les résultats définitifs parce qu’ils n’existent pas et il ne peut plus annuler à nouveau le scrutin déjà annulé par la CENI. Du coup, la CENI aurait cessé d’être organisateur pour devenir décideur et sortir de sa mission. Dans le même sens, les candidats à l’élection annulée par la CENI ne peuvent saisir le juge électoral faute d’objet : ils ne peuvent contester les résultats qui n’existent pas ni demander d’être proclamé élu alors qu’il n’y a jamais eu des résultats provisoires de la CENI.

Ainsi, pour ce qui est de la décision de la CENI n°001 du 5 Janvier 2024 ; la CENI ne devrait pas annuler les élections législatives du 20 décembre dans la circonscription de MASIMIMBA et YAKOMA. Elle devrait plutôt annoncer les résultats provisoires en donnant les causes qui l’ont empêché de constituer les vraies voix réalisées par les candidats et cette annonce vaudrait publication des résultats provisoires à transmettre au juge électoral. En annulant ces élections, la CENI a usurpé le pouvoir du juge électoral et ne vidant l’objet du contentieux électoral des résultats.

Que dire alors de l’article 29 loi organise n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante telle que modifiée et complétée par la Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la Loi organique n° 21/012 du 03 juillet 2021, article évoqué par la décision critiquée comme étant la base juridique des mesures prises ?

III.. POUVOIR DE LA CENI DE DELIBERER SUR TOUTE QUESTION DE SA COMPETENCE

La décision en cause de la CENI évoque les articles 29, 30 et 31 de la loi organique de la CENI. Ces articles disposent respectivement que : « la CENI peut se saisir de toute question relevant de sa compétence et en délibérer. Elle peut être saisie de toute violation des dispositions législatives et réglementaires régissant des élections et/ou un referendum par les autorités politico-administratives, les partis politiques en compétition, les candidats, les électeurs, les observateurs et les témoins. Elle est saisie en la personne de son Président ou de son délégué. Dans ce cas, la requête est formulée par écrit, datée et signée par une personne ayant qualité à agir. Elle doit, sous peine d’irrecevabilité, énoncer clairement et avec précision les griefs articulés ». « La CENI peut, sur une question bien déterminée, entendre toute personne dont elle juge l’avis utile à l’accomplissement de sa mission ».  « Dans l’accomplissement de sa mission, la CENI a accès aux médias publics et peut recourir à toutes les sources d’information. Les cadres de l’administration centrale et les cadres politico-administratifs des provinces et des entités territoriales décentralisées sont tenus de lui fournir tous les renseignements et de lui communiquer tous les documents dont elle peut avoir besoin ».

On peut constater que seuls les deux premiers alinéas de l’article 29 précité a trait au sujet, les autres n’ont rien à voir. Et à notre avis ces dispositions confirment la thèse que nous avons présentée ci-haut.

En effet, les compétences légales de la CENI dans le processus électoral sont énumérées et détaillées par la loi électorale, elle ne peut délibérer que sur des questions des compétences qui lui sont reconnues.

Ainsi, en matière des résultats des élections, la loi électorale on reconnait à la CENI que la compétence d’annoncer les résultats provisoires et de les transmettre au juge. Il ne lui est pas reconnue la compétence d’annuler l’élection. En le faisant la CENI a délibéré sur une question qui n’est pas de sa compétence en violation de l’article 29 qu’elle a évoqué.  

De même, en matière de nullité des suffrages, la loi électorale reconnait au Bureau de vote, la compétence de constater les suffrages nuls et d’apposer sur les bulletins concernés la mention nuls ainsi que le motif légal de cette nullité conformément à l’article 64 de la loi électorale. En annulant les suffrages déjà comptés au profit des candidats par les bureaux de vote et en dehors des motifs prévus par l’article 64 de la loi électorale, la CENI a violé flagramment la loi électorale qu’elle est censée appliquer strictement. 

Lorsque l’alinéa premier de l’article 29 de la loi organique précité dispose que « la CENI peut se saisir de toute question relevant de sa compétence et en délibérer » ; cela ne signifie pas que la CENI peut prendre toute décision sur les élections. Nullement !La CENI a des compétences légales bien déterminées par la loi électorale en ce qui concerne la conduite du processus. C’est sur ces compétences lui reconnues que la CENI peut délibérer conformément à la loi. Toute autre entendement sur cette disposition est erroné.  

De même l’alinéa deux du même article 29 e la loi organique de la CENI, dispose que « Elle (la CENI) peut être saisie de toute violation des dispositions législatives et réglementaires régissant des élections par les autorités politico-administratives, les partis politiques en compétition, les candidats, les électeurs, les observateurs et les témoins ». Cette disposition veut simplement que pour toute violation de la loi électorale la CENI peut être saisi à l’effet soit d’appliquer soit de faire appliquer la loi électorale. Ça ne veut pas dire que la CENI est juge de toute violation de la loi électorale. La CENI ne peut pas se substituer aux juges électoraux qui tranchent contentieux électoraux, ni aux parquets et OPJ qui constatent et instruisent les infractions pénales électorales ; ni au CSAC qui règlementent la campagne électorale dans les médias etc.  Si la CENI doit être saisie de toute violation de la loi électorale c’est pour appliquer cette loi dans les limites de ses compétences et le cas échéant saisir les autres organes compétents.

C’est mal à propos que l’article 29 de la loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante telle que modifiée et complétée par la Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 et la Loi organique n° 21/012 du 03 juillet 2021 a été évoqué comme base de la décision critiquée.

Que faire alors pour rétablir l’ordre juridiquement ainsi troublé par cette décision de la CENI, quel recours les candidats préjudiciés par cette décision peuvent exercer ?

IV.. RECOURS CONTRE LA DECISION DE LA CENI ANNULANT LES ELECTIONS ET LES SUFFRAGES DES CANDIDATS

En ce qui concerne la décision de la CENI d’annuler les élections de MASIMANIMBA et de YAKOMA, toute personne intéressée, y compris le gouvernement de la République, peut saisir le juge administratif (conseil d’état) pour solliciter l’annulation de cette décision et faire enjoindre à la CENI de publier les résultats de ces circonscriptions soient-ils les résultats de constat des irrégularités.

Cependant, cette décision ne peut être attaquée devant le juge électoral car elle sort de l’objet de la compétence technique de contentieux électoraux. En effet, le juge électoral n’a en matière des résultats de vote que la compétence 1) de confirmer et publier les résultats provisoirement annoncés par la CENI, 2) de rectifier les résultats provisoires et annoncés les résultats définitifs ou 3) d’annuler le scrutin en enjoindre à la CENI d’organiser une autre élection. Pour le cas d’espèce, le juge électoral ne peut ordonner aucune de ces mesures : il ne peut publier les résultats qui n’existent ni annuler à nouveau le scrutin déjà invalidé par la CENI.  

Etant donné qu’il s’agit d’une décision administrative illégale de la CENI en dehors du domaine du contentieux électoral, c’est le juge administratif qui compétent pour connaitre de sa légalité et de l’annuler avec injonction à la CENI de publier les résultats soient-ils des résultats de constats d’irrégularités. Pour cela, le recours administratif et juridictionnel sont soumis au principe et délai de droit commun.

Par ailleurs, en ce qui concerne la décision d’annulation des suffrages des candidats par la CENI, nous estimons que le juge électoral et le juge administratif sont tous compétents chacun pour connaitre du seul aspect qui intéresse sa compétence respective.

D’un coté en effet, le candidat dont les suffrages sont annulés par la CENI peut attendre la proclamation des résultats provisoires de sa circonscription par la CENI t ensuite saisir dans le délai légal le juge électoral en apportant les preuves qu’il a été élu et qu’aucun de ses bulletins n’a été annulé conformément à la loi. Le juge électoral peut constater que cette décision de la CENI est une erreur d’interprétation de la loi, confirmer les suffrages du candidat et le proclamés définitivement élu conformément à l’article 75 alinéa premier de la loi électorale.

De l’autre côté, le candidat dont les suffrages ont été annulés peut compter de a publication ou notification de la décision en question, faire le recours administratif d’usage et saisir le juge administratif (conseil d’état) soit en référé suspension soit en procédure ordinaire pour faire constater l’illégalité de cette décision, faire suspendre ou anéantir les effets et le cas échéant obtenir des Dommages-intérêts pour les préjudices subis.  Dans ce cas cependant, le juge administratif se limitera à examiner la légalité de la décision sans se prononcer sur les résultats de vote qui ne relèvent pas de sa compétence.

CONCLUSION

Il ressort de tout ce qui vient d’être dit qu’est totalement illégale, la décision de la CENI n°001 du 05 janvier 2024 annulant les élections législatives du 20 décembre 2024 dans les circonscriptions de MASIMANIMBA et YAKOMA ainsi que les suffrages certains candidats dans d’autres circonscriptions électorales. Il appartient au juge compétent de rétablir la justice.

NSOLOTSHI MALANGU

CHEF DE TRAVAUX ET JURISCONSULTE


[1] https://jurisconsultes-rdc.net/guide-electoral-des-elections-des-deputes-nationaux-en-rdc/


NSOLOTSHI

Jurisconsultes, Avocat, Enseignant de Droit au niveau supérieur et universitaire et auteurs de plusieurs ouvrages et articles scientifique de Droit. Administrateur de la plate-forme jurisconsultes-rdc et du site internet www.jurisconsultes-rdc.net.